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Satire de l’académisme à travers L’Assiette au beurre

 

« L’assiette au beurre, pour un journal, n’est pas un titre ordinaire et me paraît aussi difficile à justifier qu’à mettre du beurre en broche. [...] Je souhaite que l’assiette soit un Bernard Palissy et le beurre de meilleure qualité que celui de ma tartine.

Jean sans beurre, ci-devant A. Willette, Paris, 6 rue du Moulin de beurre. »
(« L’Assiette au beurre pour tous » p. 2 du 1er numéro, 1901)

Dans sa lettre illustrée, Adolphe Léon Willette, artiste-peintre membre du Chat Noir, s’inscrit dans la ligne éditoriale de la revue — dont le slogan est « la plus artistique des revues politiques » —, qui souhaite allier l’art et la satire. “Beurre” désignant en argot l’argent monnayé, l’expression “l’assiette au beurre” est employée pour faire référence aux classes privilégiées et fortunées. « L’Assiette au beurre pour tous » est ainsi une lettre revendiquant la lutte sociale de la condition ouvrière.

Revue hebdomadaire illustrée en couleur, L’Assiette au Beurre paraît en France de 1901 à 1936. Innovante sur le plan graphique, elle est la première revue à imprimer ses illustrations en pleine page et se distingue également sur le plan thématique, puisque chaque numéro est dédié à un thème unique. La rédaction fait appel aux plus grands illustrateurs européens et leur donne carte blanche sur le numéro, leur offrant ainsi une grande liberté de ton (majoritairement anarchiste) pour traiter avec mordant les questions de société (colonialisme, féminisme, cléricalisme, condition ouvrière). Plus qu’un feuilleton humoristique, L’Assiette au Beurre est un véritable album par numéro, qui nous donne un précieux témoignage iconographique de la Belle Époque.

Le numéro du 20 juillet 1907, intitulé Le Conservatoire est illustré par Emmanuel Barcet. Ce dernier croque avec humour l’académisme de l’institution : l’élitisme parisien, les instrumentistes, le trac, le sexisme.

L'Assiette au beurre

« Fauré veillant à la confection des étoiles »
en bas à gauche : « DÉCHET Pour LA PROVINCE »

L'Assiette au beurre

« LES INSTRUMENTS »

L'Assiette au beurre

« LE TRAC. — Et moi qui me prive de melon depuis huit jours !... »

L'Assiette au beurre

« LE TRAC. — Pourquoi as-tu peur ? … ce ne sont que des hommes ! »

L'Assiette au beurre

« — Elle a de bien belles formes !...
LE JURY Jules Lemaître, Jules Claretie, Monsieur Fauré, Fernand Bourgeat, Victorien Sardou, Ludovic Halévy, Maurice Donnay »

L'Assiette au beurre

« LES PETITS PRODIGES. »

L'Assiette au beurre

« LES MÈRES. — C’est son tour ! … Ah, ma chère amie, je suis émue... comme par un ressort !... »

L'Assiette au beurre

« L'OPÉRA (classe Melchissédec)
— Voyez, mademoiselle, avec grâce ! … "Je peux t'aimer" !... »

 

Le numéro de septembre 1902, intitulé “Nos Musiciens” est illustré par Umberto Brunelleschi (sous le pseudonyme d’Aroun al Rascid), qui tire le portrait de plusieurs compositeurs français et légende ses caricatures de quelques lignes mordantes.

L'Assiette au beurre

« CHARPENTIER : Avant de décrocher le prix de Rome sauveur, en 1887, l’auteur de la Vie d’un Poète couchait dans une carrière ; il a bien fait la sienne depuis. Robuste et caressante, sa vigueur ne doit rien à Wagner, et sa grâce, Dieu merci! se démassenettise. — Les deux cent mille francs rapportés par Louise ont laissé au compagnon Charpentier cette dégaîne de rapin anarcho, qui lui vaut tant de coeurs féminins, à Montmartre ; mais, pas d’erreur, les falzards à carreaux n’y font rien, c’est un artiste, un vrai : son écriture, de netteté impeccable, sait s’alanguir en indolences exquises ; trop fin pour condescendre aux vacarmes faciles, ressource de tant de frénétiques impuissants, qui tirent des pétards dans leur orchestre et s’évertuent en fusées vite éteintes, ses négligences sont ses plus grands feux d’artifice. Entre deux couronnements de muse, il s’occupe de moraliser les midinettes, en leur procurant le théâtre à l’oeil. »

L'Assiette au beurre

« MASSENET : Enfant chéri des dames. Ce Stéphanois talentueux reçut, en 1842, le prénom de Jules, et ne s’en est pas consolé. Incessamment, il « courtise la muse » mais ne prend, pour lui faire un enfant, nulle peine, même légère. De là, certains ratages. Auteur d’une trentaine de partitions, dont la plus sincère est l’Adorable Sidi Belboul. Cet officiant religioso-critique pour mysticocottes, verse son eau bénite parfumée dans d’étranges porcelaines. En traîne de Wagner, pose, comme feu Gounod, pour adorer Mozart et répète : « Lui, c’est le Maître ». Massenet n’est que la sous-maîtresse. »

L'Assiette au beurre

« SAINT-SAËNS : En 1838, le petit Camille, enfant prodige, ébouriffait les mélomanes de la rue du Jardinet, en triturant les Pleyels avec des menottes impubères. A perdu son talent de pianiste et conservé une âme de virtuose. Wagnérien bougon, devenu réactionnaire grincheux, il n’ignore rien de ce qui s’enseigne, et pas un pédant d’outre-Rhin ne sait autant que ce Français clair, qui excelle dans la fugue… jusqu’aux Canaries. Montre un goût sadique pour les plus effarants librettistes : Détroyat, Vacquérie, Mme Dieulafoy et lui-même ! »

L'Assiette au beurre

« WIDOR : L’auteur de Maître Ambross a les cheveux idem et la douce manie de se croire le Schumann français, bien que sa Nuit de Valpurgis ressemble à Faust, et ses Soirs d’Été aux Lieder, comme Ponsard à Corneille. En fait, c’est le Fauré du pauvre. Il ne se vend plus guère ; pourtant, dans deux ou trois salons dont la musicalité se démode, il culmine encore. « Le Widor est toujours debout ! »

L'Assiette au beurre

« BRUNEAU : Chérit Zola jusqu’à lui ressembler, en laid. Le moins musical de tous les compositeurs. Il se plaît aux mélodies enchifrenées, aux suites de quintes, aux symboles pituiteux. »

L'Assiette au beurre

« BOÏTO : Les poètes vantent sa musique, les compositeurs louent ses vers, mais le Néron, l’Orestiade, et même le Mefistofele de Tobia Garrio — anagramme : que me veux-tu ? — dénotent un Milanais qui pastiche gauchement l’Allemagne et rate ses macaronis à base de choucroute»

L'Assiette au beurre

« PUCCINI : Ce transalpin roublard, aussi réservé que sa musique est totoyeuse, a risqué une Manon Lescaut, qui ne recule pas, elle, devant la scène du Désert. (Qu’en pense Massenet ?) On peut lui reconnaître une certaine vivacité scénique, mais quelle vacuité instrumentale, quelles harmonies creuses que celles de La Vide Bohème ! »

L'Assiette au beurre

« VIDAL : Un flegme anglo-saxon cuirasse ce Toulousain, qui aime caresser sa barbe flave et ses belles interprètes. Chef d’orchestre épatant. A composé, avec la collaboration du baron de Reinach, un ballet orographique qu’il recommande assidûment aux bons soins de Gailhard. « Qui joue ma Maladetta m’enrichit. » »