La Bibliothèque musicale d'Aristide Wirsta
par Agathe Dupont-Bouyer
En mars 2020, la médiathèque a reçu un don important provenant de la bibliothèque de travail du musicologue et violoniste d’origine ukrainienne, Aristide Wirsta. Ce don est constitué de documents anciens et relativement rares pour certains, portant principalement sur le violon, sur la pédagogie de cet instrument et sur la musique ukrainienne.
Qui était Aristide Wirsta ?
Un violoniste accompli
Aristide Wirsta est né le 22 mars 1922 à Barbesti, Bucovine (actuelle Roumanie). Dans les années 1930, il étudie le violon au conservatoire de Tchernivtsi (Ukraine) dans la classe de Y. Myhasiuk.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, en 1941, le jeune musicien s’installe à Vienne où il occupe un poste d’assistant des professeurs de violon à l’école de Musique (Musikschule der Stadt Wien). A la fin du conflit, il reprend des études à la Philisophische Fakultät de l’Université de Vienne tout en étant élève du violoniste Wolfgang Schneiderhan (1915-2002) à l’Académie de Vienne.
Aristide Wirsta arrive en France en 1947. Il intègre alors le Conservatoire national de Musique de Paris dans la section spéciale des étrangers[1] et obtient son diplôme de fin d’études de violon dans la classe de Gabriel Bouillon (1898-1984). On peut d’ailleurs retrouver la trace de son passage au Conservatoire dans le Bulletin du Conservatoire de l’année 1949, dans la rubrique des palmarès[2].
Après ses études au Conservatoire, au tout début des années 1950, Aristide Wirsta est recruté par différents orchestres. Il devient ainsi premier violon de l’orchestre symphonique de Belo Horizonte au Brésil. Par la suite, il sera amené à jouer en tant que soliste dans des orchestres de chambre à Vienne, Rome ou encore Paris.
Aristide Wirsta était passionné par son instrument. C’est pourquoi il a également cherché à en comprendre le fonctionnement même. Ainsi, il participe en 1953 à une université d’été de l’Académie musicale Chigiana à Sienne. Cette expérience lui permet d’acquérir des connaissances en lutherie.
Un musicien-chercheur
La carrière d’Aristide Wirsta ne saurait cependant se résumer à celle du violoniste. En parallèle, le musicien a en effet mené une importante activité universitaire. Celle-ci commence avec son travail sur Les écoles de violon des XVIIe et XVIIIe siècles, titre de la thèse qu’il prépare sous la direction de Jacques Chailley (1910-1999) et qu’il soutient le 8 mai 1955 pour l’obtention de son doctorat en musicologie à la Sorbonne. L’année suivante, il entre au CNRS et devient également professeur d’Histoire de la musique à la Sorbonne. Plus tard, Aristide Wirsta se lance dans un nouveau travail de recherche d’envergure, consacré encore une fois à la pédagogie du violon. Ces recherches lui permettent d’obtenir un doctorat d’État en 1971 pour sa thèse L’enseignement du violon au XIXe siècle. Entre 1967 et 1973, Aristide Wirsta est aussi maître de conférences à l'Université Libre de l'Université de Munich. Il occupe ensuite un poste à l'Université de Karlsruhe avant de devenir Professeur en 1976.
Aristide Wirsta a par ailleurs participé à la rédaction de certains tomes de l’encyclopédie Die Musik in Geschichte und Gegenwart. Il signe ainsi de nombreux articles consacrés à des violonistes et compositeurs du XVIIIe siècle notamment[3].
Parmi les autres publications d’Aristide Wirsta que nous avons pu consulter et dont nous avons retrouvé la trace[4], on peut également noter son grand intérêt pour la musique ukrainienne. Les documents reçus par la médiathèque en attestent d’ailleurs. On y retrouve beaucoup d’ouvrages sur des musiciens, des compositeurs ou encore des chanteurs ukrainiens ainsi que des œuvres sur les caractéristiques et l’histoire de la musique ukrainienne.
Le musicologue s’implique ainsi beaucoup dans la diffusion de la culture ukrainienne notamment en France. De cela témoigne son rôle actif dans l’Association Académique Ukrainienne qu’il préside dans les années 1960 ainsi que son rôle de président du comité organisateur du 150e anniversaire de la naissance de Taras Chevtchenko (1814-1861), grand poète ukrainien du XIXe siècle. A cette occasion est publié un ouvrage sur l’écrivain, Taras Chevtchenko 1814-1861, Sa vie et son œuvre dans lequel Aristide Wirsta a très certainement joué un rôle important.
On peut aussi mesurer l’implication du musicologue dans la recherche de son temps à l’aune des nombreuses associations et sociétés musicales dont il était membre : l’Union des musicologues français, l’Union internationale des musicologues, l’Académie nationale des sciences, Internationale Musikgesellschaft (IMG), la Société française de musicologie…
Aristide Wirsta a reçu en 1975 la médaille d'or d'honneur de la Société d'Encouragement au Progrès pour l'ensemble de ses travaux.
En plus de collectionner les documents scientifiques et les ouvrages, Aristide Wirsta a constitué très tôt une prestigieuse collection d’archets. Comme le rapporte sa fille Sophie, qui a aussi été son élève, il considérait en tant que violoniste et spécialiste de cet instrument, que l’archet était tout aussi important, sinon plus, que l’instrument en lui-même. Cette collection n’existe plus aujourd’hui et les archets qui la constituaient ont été revendus dans les années 1980. On en retrouve néanmoins la trace dans l’ouvrage de référence Les Archets français d’Etienne Vatelot.
Aristide Wirsta s’est éteint le 18 mai 2000. Il laisse derrière lui une bibliothèque riche, qui grâce à la générosité de ses deux filles, peut désormais être conservée dans les collections de la médiathèque et mise à disposition de son public.
Et le don ?
A l’aune de ces quelques éléments biographiques, on saisit mieux qui était Aristide Wirsta et il est ainsi plus aisé de comprendre la composition de sa bibliothèque.
Avant d’entrer plus en détails dans ce fonds, nous pouvons mentionner ici qu'Aristide Wirsta parlait de nombreuses langues. Cette diversité linguistique est particulièrement visible dans les documents qui composaient sa bibliothèque. En effet, on y retrouve beaucoup d’ouvrages en allemand, un peu en anglais et en français notamment. On ajoute à tout cela une proportion importante de livres en ukrainien et en russe.
Un fonds de livres spécialisé autour de deux grands pôles : le violon et la musique ukrainienne
Le violon sous toutes les coutures
Les ouvrages en alphabet latin traitent dans leur grande majorité du violon dans tous ses aspects. On a ainsi des ouvrages sur des questions techniques concernant des études et exercices de référence, mais également de nombreux documents sur la manière de placer ses doigts sur les cordes, de tenir l’archet ou encore sur les bonnes pratiques en termes de posture plus générale du corps.
Dans plusieurs de ces livres, Aristide Wirsta a glissé des papiers sur lesquels il résumait en quelques mots leur contenu. Il donne aussi parfois son avis sur l’ouvrage et sur sa pertinence. Par exemple, à propos du livre Der Körper in Form und in Hemmung : die Beherrschung der der Disposition als Lebensgrundlage (1926), Aristide Wirsta propose l’analyse suivante :
On retrouve également des documents sur l’histoire du violon ou sur la lutherie. La bibliothèque d’Aristide Wirsta est aussi riche en répertoires ou documents sur des compositeurs spécifiques, en livres d’histoire de la musique ou sur des formes musicales spécifiques.
On mesure ainsi toute l’ampleur de la passion d’Aristide Wirsta pour le violon et la manière d’enseigner celui-ci. Nous avons également retrouvé des documents attestant des publications du musicologue, des programmes de colloques auxquels il a participé ou encore de cours qu’il a donnés. Tous ces documents rassemblés au fil des années et au gré des voyages d’Aristide Wirsta, étaient pensés par celui-ci comme devant profiter au plus grand nombre. Il avait ainsi pour habitude de recevoir collègues et amis chercheurs et leur prêtait régulièrement des ouvrages de sa bibliothèque pour les aider dans leurs propres recherches.
Une mine de ressources sur la musique ukrainienne
Il est intéressant de remarquer ici que la différence entre les documents en alphabet latin et ceux en alphabet cyrillique, outre celle de la langue et de l’alphabet, donne aussi à voir une différenciation en termes de sujets abordés. En effet, si les documents en alphabet latin traitent essentiellement du violon et de sa pédagogie, les documents en alphabet cyrillique sont quant à eux largement consacrés à la musique ukrainienne, à son histoire, ses caractéristiques et à ses grandes figures (compositeurs, musiciens, interprètes…). Aristide Wirsta a réuni une véritable collection de documents sur ces sujets. Sa bibliothèque témoigne de cet intérêt et donne ainsi accès à de nombreuses monographies sur de grands artistes ukrainiens. On y trouve aussi des ouvrages historiques sur la musique de ce pays et de son évolution.
Grâce à l’aide et au travail de deux étudiantes ukrainiennes, les titres des documents en alphabet cyrillique ont pu être translittérés et traduits. La médiathèque peut ainsi enregistrer dans son catalogue et mettre à disposition ces documents rares pour le public français.
Des partitions qui viennent enrichir les collections de la médiathèque
Les partitions s’inscrivent dans la même logique que les livres. Celles éditées en alphabet latin, sont surtout des œuvres pour violon seul ou violon avec d’autres instruments. On retrouve ainsi de nombreuses sonates, notamment de compositeurs du XVIIIe siècle, qui reflètent le goût particulier qu’avait Aristide Wirsta pour la musique de cette époque. Ces œuvres viennent compléter les collections déjà bien fournies de la médiathèque.
A cela s’ajoutent un nombre conséquent de méthodes, de recueils d’exercices et d’études qui complètent et illustrent les livres que nous évoquions précédemment.
Parmi ces dizaines de partitions, la médiathèque a aussi retrouvé des exemplaires datant du XVIIIe siècle et du début du XIXe siècle. C’est le cas par exemple de la Sonate a violino e violine o cimbalo, Opus 5, de Corelli que nous avons identifié comme étant un exemplaire de la première édition de 1700[5].
Des éditions du début du XIXe siècle de classiques pour les apprentis violonistes comme les études de Charles Dancla ou de Kreutzer faisaient également parties de la bibliothèque d’Aristide Wirsta.
Plus rares encore, des documents manuscrits ont été retrouvés. Il s’agit d’œuvres de compositeurs ukrainiens comme Ivan Vovk ou Nicola Boïcenco.
Enfin, nous avons retrouvé dans les partitions, un manuscrit que la médiathèque a identifié comme étant de la main du compositeur Théodor Akimenko. Cette pièce, réputée perdue[6], est la deuxième partie de la suite Impressions méditerranéennes (Op. 65) et s’intitule "Lumières célestes".
Les partitions en alphabet cyrillique sont également précieuses sur de nombreux plans. En effet, on y retrouve beaucoup de pièces instrumentales ou des recueils de chansons de traditionnelles et folkloriques ukrainiennes.
La bibliothèque d’Aristide Wirsta constitue une véritable fenêtre sur le patrimoine musical ukrainien. Le violoniste possédait de nombreuses œuvres des compositeurs du pays comme Thedodor Akimenko, Mykola Lyssenko, Mykola Kolessa, Anatoliy Kos-Anatolsky ou Myroslav Skorik pour n’en citer que quelques-uns. L’entrée de ces œuvres dans les collections de la médiathèque constitue un bel enrichissement.
A travers ces quelques images, nous espérons vous avoir donné envie de découvrir ce don qui fait désormais partie des collections de la médiathèque !
- Pour aller plus loin
-
Cliquer ici pour consulter la bibliographie des écrits d’Aristide Wirsta
- Sources
-
En français
Encart sur Aristide Wirsta dans L’Ukraine Libre, Revue mensuelle politique et culturelle, n°6, juin 1954, p.13
En anglais
Article sur Aristide Wirsta dans l’Internet Encyclopedia of Ukraine
Article dans le Who's who in the world 1982 1983, Chicago : Marquis Who's who, 1982
Article dans l'Encyclopedia of Ukraine, éditée par Danylo Husar Struk, Toronto : University of Toronto Press, 1993
Article de l'International Register of Profiles, juin 1979
En allemand
Aristide Wirsta, Aristide Wirsta, dans Die Musik in Geschichte und Gegenwart, tome 14, 1973, p. 730-731
En ukrainien
Passage sur Aristide Wirsta dans l’ouvrage Українська музика, p. 295
Article sur Aristide Wirsta dans l’Encyclopédia of modern Ukraine (ЕНЦИКЛОПЕДІЯ СУЧАСНОЇ УКРАЇНИ)
Certains éléments présentés dans cet article ont été recueillis directement auprès de Madame Sophie Wirsta. Nous la remercions pour son aide précieuse.
Notes
[1] Cette section, qui a existé de 1947 à 1970, formait alors un cursus spécifique réservé aux élèves étrangers.
[2] Le Bulletin du Conservatoire est disponible dans la salle de consultation de la médiathèque (cote = USUEL 02 CONS).
[3] Voir la bibliographie d'Aristide Wirsta.
[4] Voir la bibliographie d'Aristide Wirsta.
[5] Daté d’après le catalogue thématique Hans Joachim Marx, Die Überlieferung der Werke Arcangelo Corellis, A. Volk, 1980.
[6] Information de la BnF : plus d'informations ici.