Jacqueline Goldstein et Hélène Heskia
Deux élèves juives du Conservatoire sous l'Occupation
En 1942, vingt et un élèves en étaient exclus en raison de leur origine juive. Parmi ces élèves, trois ont connu les camps de concentration et deux n'en sont jamais revenues : Jacqueline Goldstein, élève en piano et Hélène Heskia, élève en danse.
A l'occasion de la journée internationale des droits des femmes, le 8 mars dernier, le Conservatoire a souhaité rendre hommage à ces deux élèves en leur dédiant l'espace végétalisé de la cour intérieure.
En 1940, le Conservatoire, qui est situé rue de Madrid, dans le 8e arrondissement de Paris, enseigne la musique, la danse et l’art dramatique. Il est dirigé depuis 1920 par Henri Rabaud, remplacé par Claude Delvincourt à partir d'avril 1941.
Dès la promulgation du premier statut des Juifs le 3 octobre 1940, l’administration de l’école réalise une enquête afin d’identifier et répertorier les élèves juifs1. A l’issue de l’enquête, une mention spéciale, rouge, est apposée sur les registres des élèves pour caractériser ceux qui sont considérés comme « Juifs », « 3/4 Juifs », « 1/2 Juifs » ou « 1/4 Juifs », selon le nombre de grands-parents déclarés. Cette annotation figurera également pour les élèves admis l’année suivante, en 1941-1942.
Au total, 42 élèves sont ainsi fichés, ce qui témoigne de la mise en oeuvre au sein du Conservatoire de la politique anti-juive décidée par l’occupant et le gouvernement de Vichy.
Entre 1940 et 1942, la Direction du Conservatoire sollicite les autorités françaises et allemandes sur les mesures concrètes à appliquer. Faut-il interdire aux élèves juifs de concourir pour les récompenses, afin de ne pas risquer de leur décerner un prix ? Le nombre d'étudiants juifs admis à s'inscrire dans un établissement d'enseignement supérieur étant limité à 3%2, faut-il imposer ce numerus clausus par classe, par année, par unité d’enseignement ? Ces questions sont définitivement tranchées par une lettre ministérielle du 21 septembre 1942 stipulant que : « Il convient de ne maintenir ou de n'admettre au Conservatoire aucun élève juif. »3. Ainsi, 21 élèves juifs4 sont exclus le 1er octobre. Ils sont pour la plupart français et ont entre 12 et 30 ans5.
La médiathèque vous invite à découvrir l’histoire de Jacqueline Goldstein et Hélène Heskia, toutes deux raflées, déportées et assassinées au camp d’Auschwitz.
Jacqueline Goldstein (1921-1944)
Jacqueline Goldstein est née à Paris (18e arr.) le 19 juin 1921, dans une famille d'artistes et de musiciens originaires de Russie. Son père, Manuel, est peintre, sa mère, Marie, est professeur de piano et son oncle, Harry, saxophoniste. Elle est l'aînée de trois enfants : son frère, Claude, est né en 1928 et sa sœur, Nadine, en 1930.
A 11 ans, elle entre au Conservatoire où elle étudie le solfège puis le piano dans les classes de Mme Alem-Chéné et de M. Staub.
Classe de piano préparatoire de Mme Alem-Chéné en 1935 (Photo L. Roosen)
Jacqueline est sans doute l’une des jeunes filles présentes sur la photo ; elle a alors 14 ans
- Première médaille de solfège en 1934,
- Première médaille de piano préparatoire en 1938,
- Deuxième accessit de piano en 1940.
Identifiée comme « 3/4 Juive » par l’administration de l’école, elle est exclue au début de l'année scolaire 1942-1943.
Le 10 mars 1944, Jacqueline et sa famille, qui habitent à Sannois (Seine et Oise), sont arrêtés, internés à Enghien, transférés au camp de Drancy puis déportés par le convoi 70 du 27 mars 1944 à destination du camp d'Auschwitz. Comme 480 des 1025 déportés de ce convoi6, Jacqueline, son père, son frère et sa sœur sont immédiatement assassinés, le 1er avril 1944. Seule sa mère reviendra de déportation en 1945.7
Hélène Heskia (1923-1943)
Hélène Heskia est née à Paris (17e arr.) le 7 janvier 1923. Ses parents, Abraham Michel et Rose, sont nés en Roumanie. Elle a un frère cadet, Robert, né en 1929. Son père, naturalisé en 1914, est négociant, ancien combattant de la Première Guerre mondiale et décoré de la Croix de guerre.
Hélène entre au Conservatoire à 12 ans, dans la classe de danse de Mme Chasles et obtient un Second prix deux ans plus tard, en 1937. Elle est remarquée dans la presse de l'époque.
Hélène Heskia est à gauche sur cette photo
du concours de danse de 1937 parue dans
Le Grand écho du Nord de la France du 18 juin 1937
Compte-rendu des concours des prix de 1938 publié dans
Le Ménestrel du 24 juin 1938
Identifiée comme « Juive » par l’administration de l’école, Hélène Heskia est radiée du Conservatoire à partir du 1er octobre 1942.
Le 30 septembre 1943, la famille Heskia, qui habite maintenant à Nice, est arrêtée, internée à Nice et transférée au camp de Drancy. Hélène, ses parents et son frère sont déportés par le convoi 62 du 20 novembre 1943 qui emporte 1200 personnes, dont 151 enfants, à destination du camp d'Auschwitz6. Aucun des quatre n'est revenu.8
Page extraite du registre des élèves (1930-1936)
La mention « Juive » a été ajoutée à l’issue de l’enquête de 1940
Notes
1. Gribenski Jean, « L'exclusion des Juifs du Conservatoire (1940-1942) », in Myriam Chimènes (dir.), La Vie musicale sous Vichy, p. 143-156.
Gribenski Jean, « L’antisémitisme au Conservatoire : du recensement des élèves juifs à leur exclusion (1940-1942) », Revue d’Histoire de la Shoah, 2013/1 (N° 198), p. 363-381. En ligne
2. Loi du 21 juin 1941 réglant les conditions d'admission des étudiants juifs dans les établissements d'enseignement supérieur.
3. Il s'agit d'une lettre du ministre de l'Éducation nationale, Abel Bonnard, au Directeur du Conservatoire, Claude Delvincourt.
Delvincourt informe ensuite les élèves concernés qu'ils seront rayés des contrôles à partir du 1er octobre 1942.
4. Selon les lois de Vichy, est considéré comme juif tout individu « issu d'au moins trois grands-parents de race juive, ou de deux seulement si son conjoint lui-même issu de deux grands-parents de race juive. » (Loi du 2 juin 1941 remplaçant la loi du 3 octobre 1940 portant statut des Juifs).
5. Ces 21 élèves exclus du Conservatoire en 1942 sont : Josette Ach, Jakob Berlinski, Léon Bronschwak, Pierre Doukhan, Devi Erlih, Odette Gartenlaub, Jacqueline Goldstein, Selma Herscovici, Hélène Heskia, Arie Hochberg, Pierre Jaïs, Lise Lehmann, Guy Leibel, Maxime Rapoport, Lia Schubert, Eva Tamarow, Georgette Tykoczinski dite Tisel, Eliane Tzipine, Suzanne Vantoura, Francine Weil et Max Winder.
6. Klarsfeld Serge, Le Mémorial de la Déportation des Juifs de France. Fils et Filles des Déportés Juifs de France, Paris, 2012. En ligne.
7. Fiche au nom de Jacqueline Goldstein, Mémorial de la Shoah et Yad Vashem.
8. Fiches au nom d'Hélène Heskia, Mémorial de la Shoah et Yad Vashem.