Documents et témoignages

Un lot de cinq lettres autographes, acquis en salle des ventes à l’hôtel Drouot1, a récemment été donné à la Médiathèque Hector Berlioz par Christine Jolivet. Ces documents, datés de 1984 à 1988 et relevant de la correspondance professionnelle, viennent apporter un témoignage sur le monde du disque classique dans les années 1980. La première lettre est signée par la pianiste Yvonne Loriod-Messiaen (1924-2010) et les quatre autres par le chef d’orchestre Manuel Rosenthal (1904-2003).

Les cinq lettres portent le même tampon, sans doute celui de la maison de disques où elles ont été réceptionnées. Quatre d’entre elles sont très probablement adressées à Lucien Adès (1920-1992), producteur chez Véga2 où il dirige une collection intitulée “Présence de la musique contemporaine”, et également directeur de son propre label, les Disques Adès. La cinquième lettre est adressée à une “chère amie” travaillant apparemment au même endroit. Les lettres ont sans doute été réceptionnées aux Disques Adès, encore en activité en 19883, tandis que Véga semble cesser d'éditer des disques en 19804.

Outre le ton amical et nostalgique des correspondants, un thème émerge de cet ensemble : la réédition d’anciens enregistrements. En effet, le disque compact est alors en train de conquérir sa légitimité en France et, en 1997, le journal Le Monde lui reconnaît en particulier le mérite de “sauver les interprétations historiques” de la musique classique5. Même si l’article évoque des enregistrements plus anciens, prolonger l’existence des productions des dernières décennies était probablement une préoccupation personnelle de Lucien Adès : il venait d’éditer en 1982 en cassette vidéo la série télévisée Les Rois maudits (1972) afin de la rendre à nouveau accessible au public6.

Yvonne Loriod-Messiaen, qui souhaite enregistrer les Mana de Jolivet pour célébrer le 10e anniversaire de la mort du compositeur, remercie également Adès de “ressortir quelques disques “Véga” (de notre jeunesse !)”. Elle lui demande à ce sujet s’il a trouvé “de beaux oiseaux pour la pochette du “Catalogue d’oiseaux””, en vue d’une réédition d’extraits, en 33 tours7, du vinyle paru en 1960 chez Véga8.

Lettre d'Yvonne Loriod-Messiaen datée du 19 février 1984

Quant au CD, il intéresse particulièrement Manuel Rosenthal qui suggère à Adès de racheter un de ses anciens enregistrements de L’Oiseau de feu et du Sacre du Printemps à Pathé-Marconi : “Je vous livre cette idée qui me tenaille lorsque je vois – et entends – les merveilles que vous faites avec la présentation en “compact” de nos travaux”.

Lettre de Manuel Rosenthal datée du 22 janvier 1986

Dans la dernière lettre du 21 mars 1988, Rosenthal mentionne un article du New York Times9 évoquant son exécution du Christophe Colomb de Milhaud au Théâtre des Champs-Élysées en 1956, réédité en CD chez Montaigne en 198810. Ce disque a reçu de nombreux prix, en plus de cette critique américaine élogieuse. Et le chef, alors âgé de 83 ans, de conclure : “Tous ces regards sur le passé sont bien touchants. Mille amitiés fidèles de votre Manuel Rosenthal”.

Lettre de Manuel Rosenthal
datée du 21 mars 1988